Retour

La « vraie vie » après cancer avec l’équipe AMA AC


La « vraie vie » après cancer avec l'équipe AMA AC

Identifier les événements physiques et les désordres psychosociaux qui impactent la qualité de vie des patients après un cancer. C'est l'objectif que s'est fixé le professeur Guy Laurent, onco-hématologue à l'IUCT-O en mettant en œuvre un dispositif baptisé AMA AC*.


Peur de la récidive, séquelles des traitements, survenue d'une autre maladie, fatigue, reprise du travail...  Comment se déroulent les premières années de la vie après un cancer ? Quelle est la qualité de vie des personnes en rémission ? Le professeur Guy Laurent veut savoir ce qui se passe lorsque le traitement est terminé et que la personne entre dans un processus de surveillance. « Aujourd'hui, le suivi classique comprend des bilans et des consultations  avec l'oncologue, tous les 3 à 6 mois pour commencer. Dans ces rendez-vous centrés sur la maladie, le médecin s'intéresse avant tout au risque de rechute,  constate le professeur Guy Laurent. On peut faire beaucoup plus ».  

Depuis 2012, il expérimente un nouveau dispositif  de suivi afin d'évaluer l'ensemble des évènements médicaux,  psychologiques, sociaux… Il s'agit d'AMA AC qui s'adresse pour l'instant aux patients ayant été traités avec succès pour un lymphome**. Depuis son lancement, 180 personnes ont bénéficié de ce programme personnalisé mené en partenariat avec 178 médecins généralistes. Le socle du dispositif repose sur un triumvirat : le patient, le médecin traitant et l'infirmière de coordination. Dans ce modèle, l'oncologue n'intervient qu'à la demande de l'un de ces trois acteurs. 

 

Comment se déroule le suivi ?

Dans AMA AC, c'est le médecin généraliste qui prend en charge les consultations de suivi pour la partie physique en remplissant une grille d'évaluation élaborée par l'oncologue. Elle lui permet de consigner tous les évènements somatiques (état général, capacités physiques, fatigue, séquelles des traitements, survenue d'une maladie associée). Ces informations sont ensuite adressées  à l'infirmière coordinatrice d'AMA AC, laquelle complète l'évaluation en appelant le patient pour recenser les éventuels évènements psychosociaux survenus  durant la période : anxiété, dépression, syndrome de stress post-traumatique, difficultés liées au travail, ou tout autre incident susceptible d'impacter la qualité de vie. L'évaluation du statut psychologique fait appel à des grilles psychométriques.

Ce « triple » dossier (médical, psychologique et social) est transmis  à l'oncologue. Il va en analyser les données et adresser, ensuite, un  compte rendu au médecin généraliste pour que celui-ci intervienne ou fasse intervenir un autre spécialiste. A tout moment, le malade peut consulter l'oncologue à sa demande ou à celle du médecin généraliste ou de l'infirmière de coordination.

« Le médecin traitant, contact privilégié du patient, apprécie que nous lui donnions les clefs pour cette période de surveillance assez spécifique, explique Gisèle Compaci, coordinatrice du projet AMA AC. Dans le même temps, il est sécurisé par le cadre de travail collaboratif que nous lui proposons ».

 

Constituer une base épidémiologique

La mise en œuvre du dispositif débouche sur la constitution  d'une base épidémiologique. Elle va permettre de recenser les paramètres de l'«après cancer», d'évaluer avec précision la fréquence et la nature des complications ainsi que les facteurs de risque qui leur sont liés. Les premiers résultats portent sur une cohorte de 115 patients traités pour un lymphome agressif par la chimiothérapie RCHOP. 

 

Les principaux évènements physiques recensés sont de quatre ordres :

  • les séquelles liées au traitement :  neuropathie (24,4%), infections (41,7%), douleurs articulaires (64,3%) ;
  • les maladies associées (non directement liées au lymphome et à ses traitements) : complications cardiovasculaires (13,9%), problèmes liés à la thyroïde (6,1%),  à  la prostate (4,7%), second cancer (3,4%) ;
  • la survenue de rechute 8% ;
  • la fatigue chronique concernant 20% des patients. 


 

Les évènements psychologiques observés sont les suivants : troubles d'anxiété (20%), dépression (10%), syndrome de stress post-traumatique (20%).

Enfin, en ce qui concerne les évènements sociaux, on note un retour au travail chez 72% des actifs à 1 an, ce taux étant très supérieur à celui rapporté dans la littérature médicale.

Les complications survenant dans l'après cancer peuvent altérer la qualité de vie : 20% des patients déclarent avoir une qualité de vie très détériorée au terme de la première année qui suit l'arrêt du traitement. « Nous avons, par exemple, découvert que l'impact des neuropathies étaient sous-estimé et constitue un handicap important,  ajoute le professeur Guy Laurent. Nous n'en sommes qu'au début, l'étude va se poursuivre jusqu'en 2017».

 

L'étude devrait permettre de déterminer si certains groupes de patients sont plus à risques.  « Nous souhaitons apporter des éléments de réponse à la question : quelle est la part des évènements induits par le traitement,  la maladie ou les déterminants non médicaux comme le statut social,  conclut le professeur Guy Laurent.  Un exemple : nous avons été surpris de constater que le stress post-traumatique avait davantage de répercussion sur le retour au travail que la dépression ou l'anxiété »

 

A plus long terme l'équipe AMA AC s'est donnée pour objectif de procéder à une évaluation médico-économique de ce dispositif. Il réduit l'intervention des oncologues (6% seulement des patients sont revus par l'oncologue pendant la première année) et réduit les déplacements des patients à l'hôpital. En détectant précocement des évènements, il améliore l'efficacité de la prise en charge et amoindrit les conséquences sur la vie sociale. Dans le même temps, des ressources supplémentaires en infirmières sont nécessaires. Ces dernières pourraient préfigurer  l'apparition de nouveaux métiers « infirmiers » destinés à l'assistance à distance des patients atteints de pathologies chroniques graves : E-infirmière, télé-infirmière. 

 

AMA AC prolonge l'expérience AMA1 lancée en 2006 par la même équipe. Destinée aux patients en cours de chimiothérapie, AMA1 assure une surveillance très rapprochée au domicile  par des appels téléphoniques systématiques au domicile  pendant la phase active du traitement. L'appel systématique planifié assure une meilleure sécurité du traitement et favorise l'observance. Cette méthode réduit de 50% les hospitalisations non programmées. AMA1 est étendu aujourd'hui à d'autres pathologies cancéreuses comme les leucémies ou encore le myélome multiple.

Ces travaux constituent un des 4 volets du programme PHUC CAPTOR*** attribué à Toulouse et financé par l'Etat.

 

* Assistance des malades ambulatoires après cancer.

**Le lymphome est une forme de cancer qui touche le système lymphatique.

***Le programme CAPTOR (Cancer Pharmacology of Toulouse-Oncopole and Region) est un projet de recherche consacré à l'innovation, l'évaluation, la diffusion des médicaments anticancéreux ainsi qu'à la formation relative à ces domaines. Coordonné par le Pr Guy Laurent, onco-hématologue au CHU de Toulouse,  et porté par l'université Toulouse III - Paul Sabatier, CAPTOR est lauréat des Investissements d'avenir lancés en 2010 et dotés d'un financement de dix millions d'euros sur cinq ans par l'Agence Nationale de la Recherche.